*Extrait des terres gelées *
Lumière... ténèbres... lumière... une forme qui se dessine, puis s'efface. Un froid intense, mordant. Un vent aux rafales sonnant comme la complainte d'une sinistre âme torturée par d'éternels tourments. Lumière... ténèbres...
L'homme ouvrit les yeux. Il se trouvait dans une forêt. La neige tombait à gros flocons, cristaux de pureté absolue, et se déposait sur son corps meurtri par les années. Les arbres alentours ployaient sous le poids de cet or blanc. Puis cela revint. Lumière... ténèbres... lumière... Le vent se mit a souffler, un vent froid, glaçant, comme le souffle d'une créature innommable devenue glace avec le temps. Les arbres, conifères immensément hauts, étaient battus par les bourrasques, laissant s'échapper de leurs majestueuse branches des amas entiers de neige qui tombait lourdement mais silencieusement sur le sol immaculé. L'homme, allongé, regardait le ciel, obscurcit par de sombres et épais nuages qui roulaient et grondaient, crachant leur visqueuse bile blanche sur le monde abimé par les tourments des humains. L'homme sentait le froid le pénétrer. C'était plus intense que toutes les sensations qu'il avait jamais eu. Les premiers engourdissements firent place à un filet d'extase, des décharges de plaisir parcourant son corps et le baignant jusqu'à la moelle de puissantes vagues de satisfaction.
Il était la neige. Il était la mousse gelée sous la neige. Il était le roc acéré dont le tranchant émergerait comme un récif. Il était le vent qui causait milles tourments. Il était l'arbre, immortel, majestueux, tel un pic fièrement brandi défiant le ciel et un quelconque dieu y demeurant. Il était le buisson, siège de toutes les conspirations et des complots. Il était le nuage, tonitruant, lâchant foudre et vomissant l'or blanc, cachant le soleil de cette terre immobile et pourtant balayée par les vents. Mais qui avait peur de l'autre, le soleil ou la terre ? Une larme coula, puis se changea en glace instantanément. Le diamant née de l'homme, scintilla dans la pâleur de l'hiver. Mais ce diamant n'était rien comparé à la beauté presque maléfique du paysage. Un pays de neige. De glace. De froid. De tourments. De mort... Voila qui seyait à l'homme. Il s'endormit pour ne plus jamais se réveiller.
***
La mort. Enfin, la délivrance d'être née maudit, née d'une espèce maudite, vouée au désir inassouvi, à la violence et la haine, à la tristesse, à la démesure et au chaos... Le hiatus final était proche, oui...
Soudain, il revit. L'air glacé rempli ses poumons, son cœur agonisant se contracta, des crampes éclatèrent dans chacun de ses muscles et il fut prit de convulsions. Tels les nuages, il vomit sa bile sur ce monde blanchâtre. Le liquide saumâtre et acide coula le long de son corps, totalement nu et aussi blanc que le sol. Des créatures inconnues et invisibles peuplant la forêt entendirent des râlements et des éructations, puis des imprécations lancées dans une langue gutturale lancées vers la voute céleste. La mort n'était pas pour lui. Pas encore. Un jour qui sait ? Mais la paix ne pouvait lui être accordée. L'entropie de sa vie n'était pas encore à son paroxysme, il ne pouvait partir. Vaincu, l'homme s'assit en tailleur, étonné que ses membres lui répondent dans leur état. Non, en réalité rien ne l'étonnait plus. Il haïssait, c'est tout. La mort, le monde, lui-même. Il ne pouvait mettre fin à ses jours. La question n'était pas "pourquoi moi ?" mais "pourquoi pas moi ?". D'autres larmes coulèrent, puis gelèrent, puis scintillèrent. L'homme hurla de toute sa force, mais ses cris déchirants furent vites effacés par le vrombissement du vent.
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Puis il vint. Le loup. Un loup monstrueux, de la taille d'une montagne. D'une texture éthérée, il ne faisait aucun dégât matériel aux alentours. Des crocs grands comme des clochers d'églises pendaient de sa gueule, d'où coulait un liquide visqueux et putride, puant et répugnant, qui aurait rongé le monde entier s'il avait été réel. Ses yeux luisant d'une lueur horriblement intelligente et maléfique, étaient d'un bleu à la fois exceptionnellement froids et d'une chaleur inattendue. Il poussa un hurlement, faisant trembler les montagnes, s'effondrer les arbres, s'ouvrir la terre d'où rugissaient des torrents de lave, et l'affreuse halène se répandit telle des miasmes insalubres. Même le ciel était vaincu, les nuages s'affolant et fuyant le monstre. Le ciel bleu et limpide de la froide nuit d'hiver apparut. Il était peuplé d'un nombre incroyable d'étoiles, toutes plus scintillantes les unes que les autres, formant un tableau d'une splendeur sans nom. L'aurore boréale lançait ses ondes de lumière sur la forêt millénaire, baignant le monde d'une clarté divine, milles couleurs s'entremêlant en un serpent infini. Mais tout ce spectacle n'était rien en comparaison de la lune, majestueuse, seule et immobile au milieu de la tourmente céleste et terrestre.